Le « free sourcing » est un mode d’approvisionnement où la matière est gérée par un donneur d’ordre pour ses sous-traitants. Le donneur d’ordre passe commande de la matière directement aux fournisseurs de matière pour ses sous-traitants.
Le modèle du « free sourcing » (dont l’arrêt a été décidé en 2011) a pour objectif de pallier au manque de maturité de certains fournisseurs. Notamment sur le déploiement du modèle MRP2 ; qui rend difficile la construction de prévisionnels, en lien étroit avec la réservation de la matière sur le long terme.
L’organisation mise en place repose sur un système de Kanban en double bac, dimensionnés sur une consommation moyenne lissée du fournisseur. Dès que le premier bac est consommé, le fournisseur met la carte en ré-appro. Le cycle de réapprovisionnement correspondant à 10 jours en moyenne.
Il y a des avantages indéniables à ce type de système ! Il est simple à piloter par le fournisseur car très visuel. Et il permet d’éviter la surproduction car tiré par la consommation réelle. On apprend aussi dans la littérature qu’un système Kanban, pour être pérenne, doit évoluer dans un environnement de demande stable et que le dimensionnement des bacs doit être revu régulièrement.
Nous sommes amenés au travers de nos missions à travailler avec de nombreux acteurs de la supply chain aéronautique. Nous constatons régulièrement deux choses :
- Les fournisseurs se plaignent d’être en rupture de matière.
- Les donneurs d’ordres se plaignent des appels de matière irrégulier.
Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation ?
C’est un ajout de contraintes au système – normalement basé sur des appels réguliers, au besoin. Dans les faits, les fournisseurs n’ont la possibilité de faire leur appel qu’une fois par mois ou une fois tous les deux mois. Ce qui empêche au fournisseur d’appeler de la matière en amont pour lisser sa charge.
Le process de redimensionnement des cartes est aussi à l’origine de deux dysfonctionnements majeurs.
- Un écart dans la vision des besoins entre fournisseur et donneur d’ordre (quantité et temporalité). Le fournisseur est responsable du calcul, le donneur d’ordre de la validation. Or, les paramètres des deux systèmes d’informations ne sont pas liés : pourcentage de rebuts, pourcentage d’imbrication, coefficients de nomenclature, etc.
- La fréquence de revue non adaptée à l’environnement variable, par exemple au ramp up.
Tout cela génère de la frustration chez les opérationnels, et des débats interminables sur la responsabilité des retards.
Les fournisseurs déclarent qu’en moyenne 30 % des retards seraient liés à des problèmes de fourniture matière.
Le modèle du « free sourcing » aurait pu perdurer en adaptant le système ; simplifier le process de redimensionnement des cartes pour le rendre plus dynamique. Ou encore aligner les paramètres systèmes afin de clore le débat sur les quantités à approvisionner.
En complément, augmenter la flexibilité en diminuant les contraintes liées aux règles de mise en ré-appro des cartes, pour permettre aux fournisseurs de lisser leur charge sur du moyen terme, d’intégrer des gains associés à l’amélioration continue (taille de lot), etc. Mais, en contrepartie, cela obligerait les fournisseurs à transmettre leurs visions PIC/PDP lissé.
En abandonnant le modèle du « free sourcing » l’écosystème aéronautique en perd aussi les avantages. Le plus important à nos yeux sur la partie exécution étant la capacité à arbitrer, prioriser parmi les fournisseurs et les programmes avions la fourniture matière en cas de rupture.
Vers un nouveau mode de fonctionnement …

Le plan de réduction des coûts initié par Airbus (Power 8) a notamment abouti à la décision de mettre fin au « free sourcing ». L’objectif est de modifier l’organisation de l’approvisionnement matière en transférant la responsabilité auprès des fournisseurs.
L’enjeu financier est de taille puisque l’achat matières constitue entre 40 et 60 % de la valeur du produit… Ce qui représente un important besoin en fond de roulement.
La recherche d’un nouveau modèle est donc nécessaire pour que les fournisseurs maintiennent leurs niveaux de compétitivité, tout en gérant de nouveaux risques parmi lesquels :
- Comment gérer les diminutions de cadence, et les potentiels surstocks chez les fournisseurs ? Ou les augmentations de cadence et le risque de rupture associé ?
- Comment gérer l’affectation de nouvelles références à un fournisseur, dans un délai court, sans passer par le marché spot ?
- Les fournisseurs pourront-ils supporter l’augmentation du BFR (Besoin en Fond de Roulement) induite par les ramp up et la gestion en propre de la matière ?
Des initiatives fleurissent pour tenter de répondre au mieux à ces problématiques.
Les fournisseurs se regroupent en structures communes pour répondre aux objectifs suivants :
- Sécuriser les approvisionnements et mutualiser les achats matières sur la base des prix négociés par les avionneurs,
- Acquérir la taille critique pour devenir un acteur reconnu au niveau national et international. Ainsi, les partenaires pourront acquérir la crédibilité nécessaire pour peser dans les négociations avec les donneurs d’ordre et les fournisseurs de matière.
- Diluer l’impact en BFR sur les différents membres des structures.
Au delà des opportunités que présentent ces nouvelles organisations, comment ne pas tomber dans les mêmes travers que le modèle du « free sourcing » compte tenu de la variabilité de l’environnement ?
Nous ne pensons pas qu’un modèle classique (MRP 2 ou Kanban) permettrait à ce type de structure d’atteindre ses objectifs. Notamment ceux de maitrise du BFR et de taux de service.
Nous avons comparé, grâce à des outils de simulation, les différents modes de gestion (MRP2, Kanban, DDMRP). Les résultats se valent dans un environnement stable et peu contraint. Dès lors que l’on modélise un système s’approchant de la supply chain aéronautique (avec de la variabilité), le modèle DDMRP (Demand Driven MRP) se détache des autres en terme de taux de service.
Au delà de l’effet « loi des grands nombres » induit par l’accumulation des besoins des différents fournisseurs de la structure sur une même matière, la constitution de buffers permet de répondre aux questions de variabilité de la demande. Par exemple la gestion des affectations d’un nouvel article dans le court terme ; via un système de gestion des pics de commande. De plus, le re-calcul dynamique de la CMJ (consommation moyenne jour) permet au DDMRP de se maintenir sans avoir de longs débats sur le redimensionnement (par rapport à un Kanban).
Du côté opérationnel, la mise en place de DDMRP chez des professionnels du secteur apporte des résultats concrets qui corroborent les résultats des travaux de simulation ; taux de service, maitrise des stocks.
L’arrêt du « free sourcing » est une opportunité pour les fournisseurs de gagner en autonomie et en maturité.
Mais les structures communes émergentes ne devraient pas conserver en l’état le système de gestion par Kanban. Sur le volet exécution, l’approche DDMRP et sa capacité à absorber la variabilité, associé aux initiatives de mutualisation, se positionne comme un bon compromis. Elle permet d’assurer le taux de service. Mais aussi de couvrir les nouveaux risques dont les augmentations et diminutions de cadence.
Pour compléter cette analyse qui concerne l’horizon tactique il faudrait se pencher sur la planification à moyen et long terme, contrainte par les réservations faites très en amont de la consommation. Quelles seraient les opportunités pour les structures émergentes de se démarquer tout en intégrant les contraintes du secteur ?
Auteurs : Noémie Lambert, Thomas Janssen, Kévin Lhotellier, AGILEA