Quelles sont les évolutions imaginables pour améliorer les performances économiques tout en garantissant la qualité des soins ?
Poussés par la nécessité de maîtriser leurs dépenses, les établissements de soins s’inspirent de la logistique industrielle pour améliorer leur efficacité. On parle alors de logistique hospitalière. Reste que tout n’est pas transposable et qu’aux contraintes purement techniques, peuvent s’ajouter des réticences culturelles extrêmement fortes.
Si on ne peut pas encore parler de véritable révolution, force est de constater que des avancées significatives se font jour dans différents endroits. Et qu’apparaissent les prémices de changements beaucoup plus profonds à l’aide des outils d’analyse de flux.
Héritier d’une longue tradition humaniste, l’hôpital a souvent été considéré comme un secteur d’activité à part.
Et ceci pour trois raisons.
La première, et la plus importante, est qu’il répond à un objectif de santé publique. Il en résulte un mode de fonctionnement bien particulier, et un état d’esprit fondamentalement différent d’une entreprise.
La deuxième différence, et non la moindre, concerne le modèle économique ; qui n’obéit à aucune règle comparable à ce que l’on peut connaître ailleurs. Le mode de financement d’un hôpital ne s’apparente à aucune autre société. Et les mots « rentabilité » ou pire « profitabilité » sont exclus du vocabulaire… Même si cela commence à s’entendre de plus en plus souvent.
Enfin la forme de gouvernance n’est pas banale puisqu’elle implique la cohabitation de deux autorités aux intérêts parfois opposés :
- d’une part la direction administrative qui assure la gestion de l’établissement (rester dans le cadre du budget imparti et préserver la paix sociale),
- d’autre part, l’autorité médicale, dont le but est de maintenir la qualité des soins…
Pour toutes ces raisons, l’hôpital constitue en ce début de XXIe siècle une sorte d’exception économique et culturelle.
En France, il s’appuie sur de solides compétences et une réputation mondiale. Mais pourtant, en matière d’organisation, d’importants progrès restent à accomplir. Des progrès pour faire des économies tout en maintenant la qualité et améliorer ses performances globales.
L’optimisation d’un centre hospitalier passe par trois niveaux d’intervention :
- un premier niveau de « logistique opérationnelle » qui vise à rationaliser les flux à l’intérieur d’un établissement. Sont concernés la distribution des repas, des médicaments, des flux de dossiers et d’examens médicaux, de la gestion du linge, des déchets…
- Un deuxième niveau, plus stratégique, tend à optimiser les approvisionnements d’un groupe d’établissements appartenant à une même zone géographique. Une logistique plus difficile à mettre en œuvre car elle implique une collaboration très forte d’un grand nombre d’acteurs.
- Enfin, un troisième niveau centré sur la « gestion des systèmes d’information » ; dont le but sera de mettre en cohérence tous les systèmes informatiques d’un même établissement (voire de plusieurs) pour une plus grande transparence et une meilleure prise en compte des paramètres techniques (la traçabilité, par exemple) et économiques.

La logistique hospitalière, centre de coût ou levier de performance ?
La plupart des logisticiens hospitaliers sont donc confrontés au même problème qui est celui de la culture hospitalière. Une culture qui refuse d’admettre que l’on puisse mêler santé et rentabilité.
Or, si la dimension économique ne peut être occultée, la première préoccupation du logisticien n’est pas seulement financière. Elle est surtout de mettre en adéquation des ressources et des moyens.
Comment libérer le personnel soignant de certaines tâches administratives pour être plus proche du malade ? Quelle organisation mettre en place pour réduire les stocks de médicaments, tout en garantissant une sécurité maximale ? Comment assurer une bonne traçabilité des produits consommés au sein de l’hôpital ?
Autant de questions auxquelles il existe des réponses. Mais à chacune d’elle correspond un budget.
En effet, le pragmatisme et le bon sens gagnent du terrain. Déjà, au début des années 1990, le CHU de Montpellier avait été à l’avant-garde de la logistique hospitalière ; avec un projet ambitieux (et controversé) de plate-forme d’approvisionnement.
L’idée était de regrouper sur un même lieu des milliers de produits (médicaments, matériel médical, consommables…) pour approvisionner en flux tendus les services de plusieurs établissements répartis dans la ville.
Cette expérience courageuse, qui a eu le grand mérite d’être la première, a permis à d’autres établissements d’en tirer les enseignements. C’est sans doute cette expérience qui a conduit plus tard le CHU de Strasbourg à intégrer des logisticiens au sein de sa pharmacie centrale… Et aujourd’hui à finaliser une plate-forme logistique.
Vers une comptabilité analytique
Les infrastructures et les équipements logistiques constituent une étape importante dans une démarche de rationalisation des flux hospitaliers.
Mais pour agir efficacement, le logisticien doit pouvoir s’appuyer sur un tableau de bord. Et pour ce faire, mettre en place des indicateurs. Le problème étant que dans la plupart des cas, il est pratiquement impossible d’évaluer les performances de l’hôpital… Faute de moyen. Pas de mesure fiable des stocks, pas d’évaluation des coûts logistiques globaux, encore moins par service.
Dans ces conditions, le logisticien est un capitaine qui navigue à vue, sans instrument de prévision, ni outil de mesure. Pour pallier ce handicap, certains centres hospitaliers ont fait le choix d’implémenter un ERP. A défaut de tout régler, il va tout de même offrir une meilleure visibilité des dépenses et une plus grande fiabilité au niveau des prises de décisions.
Loin d’être anodine, cette nouvelle forme de comptabilité devrait servir à isoler les coûts logistiques pour mieux les maîtriser… Et pourquoi pas, un jour de les comparer d’un établissement à un autre.
D’une logistique hospitalière à… une Supply Chain hospitalière
La logistique hospitalière connaît depuis une dizaine d’années des progrès sensibles. Ils sont dus en particulier aux efforts de responsables locaux qui y croient vraiment et y consacrent beaucoup de temps et d’énergie. Ces résultats prometteurs portent principalement sur les approvisionnements et la gestion des opérations.
On constate par ailleurs que les initiatives les plus intéressantes ont lieu dans les établissements de grande taille (APHP, HCL, CHU, CHR…), souvent éclatés, où la mutualisation des moyens est facilitée par l’existence d’une direction centrale, susceptible d’insuffler ou de soutenir de grands projets.
On assiste également à la mise en place de systèmes informatiques puissants et structurants, capables d’analyser les dérives budgétaires et d’apporter une plus grande réactivité.
Néanmoins, le directeur logistique reste le plus souvent un opérationnel disposant d’un champ d’action relativement limité.
Concernant sa fonction, on ne peut pas véritablement parler de transversalité, et son rôle s’arrête aux murs de l’hôpital. Cependant, si l’on se réfère au monde industriel, les gains les plus importants seraient générés par une meilleure prise en compte des flux hospitaliers à un niveau régional, voire national.
La logique voudrait qu’un jour soient mises en place des structures inter- hospitalières pour gérer les achats, les approvisionnements, l’entreposage et la préparation de commandes d’un groupement d’établissements. Des initiatives de regroupement sont déjà lancées en matière d’e-procurement. D’autres devraient suivre.
Mais pour créer les conditions d’une « Supply Chain hospitalière », l’étape ultime sera la mise en place de véritables outils de pilotage. Après l’apparition des WMS (pour les entrepôts), des ERP pour la comptabilité et la gestion du personnel, peut- être verrons-nous apparaître des outils de planification sur le Web pour piloter les flux de médicaments et de consommables. Tout ceci bien sûr, sur un mode collaboratif, intégrant fournisseurs et sous-traitants.
Vers une externalisation des flux hospitaliers
Dans cette approche, le directeur logistique aurait pour mission de définir des schémas logistiques, de proposer l’implantation de plates-formes régionales et nationales (par exemple pour certains produits non-médicaux à faible rotation) ou de proximité, pour les produits pharmaceutiques ou le matériel sensible.
Et pour aller plus loin dans cette logistique fiction… Pourquoi ne pas carrément imaginer l’externalisation de ces activités en direction de prestataires qui disposent déjà de compétences dans le médical ou la pharmacie ?
Reste que l’administration hospitalière fonctionne à son rythme et que les grandes décisions sont parfois longues à venir. Ce qui est certain, c’est que le processus est enclenché et que la logistique hospitalière s’impose désormais comme une manière de mieux gérer les établissements de soins.
Preuve en est ; AGILEA est maintenant sollicité pour mener des réflexions très en amont dans des projets architecturaux pour optimiser le flux des patients.