Le S&OP est mort, vive le S&OP !

Lors de mes pérégrinations télévisuelles (cf. le billet précédent), je me suis retrouvé devant des extraits de la commission d’enquête envers les actions gouvernementales sur la crise sanitaire du COVID-19.

Là aussi, j’ai pu y faire un constat avec des pratiques d’organisations d’entreprises et l’utilisation des concepts de Supply Chain.

Promis, si je fais un article sur le parallèle entre la Supply Chain et les émissions de téléréalité, vous aurez le droit de me bannir de votre compte LinkedIn wink

Bref, quelques personnes : 2/3 qui posent les questions, 1 qui tente d’y répondre et les autres devant leurs écrans. Jusque-là, le parallèle avec les réunions de certaines entreprises est réel mais ne mérite pas un tel billet !

Néanmoins la teneur des « échanges » était un peu plus saisissante :

  • Pourquoi n’y avait-il plus de masques dans les entrepôts nationaux ?
  • Parce que le gouvernement précédent a fait le choix de ne pas renouveler cette dépense pour faire des économies.
  • Pourquoi est-ce si long de s’approvisionner en produit pharmaceutique ?
  • Parce que les produits sont fabriqués en Asie et que le temps d’approvisionnement est plus long à cause de la demande qui a explosé et les longs temps de transports.
  • Pourquoi avez-vous organisé les élections municipales alors que cela a été un vecteur de contagion ?
  • Parce que les experts scientifiques nous ont dit que la situation était acceptable dans les conditions sanitaires que nous proposions.
  • Pourquoi ne pas avoir fait confiner plus tôt ?
  • On a été un des pays à confiner le plus tôt et plus durement par rapport aux autres.

Bref, au-delà de la teneur des réponses et de leur contenu plus ou moins politique, vous constaterez que l’on cherche à justifier la décision qui a été prise quelques temps plus tôt.

Et c’est là que je me suis cru dans une S&OP de mes années d’avant…

  • Pourquoi est-on en rupture sur les matières premières alors qu’on avait un prévisionnel il y a 6 mois ?
  • Pourquoi le temps de vente est si long sur ce produit alors que nos clients nous en prendraient plus si nous en avions de disponible ?
  • Ou encore, Pourquoi avoir favorisé cette famille de produit alors qu’on n’est pas sûr des gains à long terme ?
  • Pourquoi n’arrive-t-on pas à anticiper nos investissements plus tôt ?

Je dois reconnaître qu’à l’époque, mes réponses n’étaient pas nécessairement meilleures :

  • Je faisais un comparatif du prévisionnel et montrais l’écart. A ce moment, le responsable commercial me disait que c’était qu’une prévision et que je ne devais pas complètement en tenir compte…
  • Je leur expliquais que nos approvisionnements étaient plus longs mais moins chers pour tenir les marges. Là, mon commercial m’expliquait que si on vendait un cycle plus rapide, on pourrait vendre à n’importe quel prix. Et que nos gains d’achat ne voudraient plus dire grand-chose.
  • Je leur expliquais à l’époque qu’on nous avait reproché d’avoir trop de stock sur ce produit et que nous avions pris des actions pour le réduire. Là, le responsable commercial me reproche qu’il aurait « largement » pu les vendre s’il en avait eu… Quand dans le même temps, les Thénardier responsables de la finance me disaient que c’était un autre stock que j’aurais dû réduire…
  • Je leur rappelais que nous avions ralenti les investissements car nous avions des doutes sur le prévisionnel du marché. Là, mon responsable commercial (oui c’était mon grand copain…) me disait sans broncher qu’il fallait tenir compte des prévisions et que maintenant il n’était plus sûr d’atteindre ses objectifs de ventes sur les nouveaux produits, si les investissements ne se font plus à temps.

Bref un éternel débat où à la fin de l’histoire je générais une grande machine à justification… Et où le responsable commercial ne venait plus car il trouvait cela inutile. Il n’avait pas complètement tort là-dessus.

Un des principes fondateurs de la décision S&OP est certes, la décision que vous allez prendre. Mais surtout les hypothèses que vous avez faites à l’instant T pour prendre cette décision !

  • Sur quelles hypothèses le prévisionnel fourni était-il basé ?
  • Qu’est ce qui nous fait penser que ce segment de marché est plus prompt à payer plus pour un délai plus court ?
  • Quelles conditions de marché doivent être réunies pour entamer une baisse de stock sur la famille de produits ?
  • Sous quels postulats aurions-nous à accélérer ou décélérer nos investissements ?

Étonnamment, en entamant la discussion sous cet angle des hypothèses, nous arrivons à un questionnement plus profond sur notre connaissance du problème. Il est clair que mes premières réponses étaient techniquement bonnes. Mais souvent elles reposaient sur des hypothèses fausses, inconnues ou très incertaines.

Aussi d’une manière générale, mais surtout dans le contexte actuel, vous allez sûrement réviser votre carnet de commande. Qu’il soit prévisionnel ou non. Avant d’annoncer une baisse de X% ou une augmentation de Y%. Quels risques prenez-vous à identifier et analyser les hypothèses qui vous ont fait proposer X et Y ?

Ainsi dans quelques mois, quand vous ferez une analyse de vos décisions, il sera sans doute plus pertinent d’aller vérifier à quel point vos hypothèses étaient/sont valides… Plutôt que d’aller justifier la décision prise.