Internet Physique: Et si le web inspirait la logistique ?

Depuis son arrivée dans notre vie, l’Internet Digital a véritablement bouleversé nos habitudes de vie et de travail. Des chercheurs se sont demandé comment les principes, protocoles et architectures de ce réseau digital pouvaient être appliqués non pas à des flux d’information mais à des flux physiques. Cet article s’inspire de la conférence donnée par Benoit Montreuil, à l’Ecole des Mines Albi. Benoit Montreuil, professeur à Georgia Tech est l’un des fondateurs de l’Internet Physique (ou Physical Internet).

D’où vient la nécessité de développer l’Internet Physique ?

Complexité accrue de la concurrence, pression des marchés ; les clients souhaitent se faire livrer plus, plus vite et moins cher. Mais les moyens de stockage et de transport sont limités, les produits dont nous avons besoin ne sont souvent pas disponibles au moment et à l’endroit souhaité. D’ailleurs, savez-vous qu’au moins 25% des transports routiers sont réalisés à vide ?[1] Qui n’a jamais entendu parler de produits ayant traversé l’Europe pour aller de Paris à Toulouse ?

Autant de maux illustrant l’inefficacité et les limites actuelles de nos Supply Chain. Aussi, Benoit Montreuil a fait le constat suivant : «La façon dont les objets physiques sont transportés, manipulés, entreposés, réalisés, fournis et utilisés dans le monde entier n’est pas soutenable économiquement, écologiquement et socialement »[2]. Pour résoudre ce problème, ce dernier a eu l’idée de comparer nos réseaux logistiques aux réseaux internet. C’est alors que le concept d’Internet Physique est né !

Mais l’Internet Physique c’est quoi exactement ? En quoi suis-je concerné·e ?

Benoit Montreuil définit l’Internet Physique comme « un système logistique mondial hyper connecté ». L’hyper-connexion se traduit par l’ « exploitation de réseaux d’approvisionnement interconnectés qui utilisent un ensemble de protocoles collaboratifs, de conteneurs modulaires et d’interfaces intelligents standards, pour accroître l’efficience et la durabilité »[3]. L’aspect disruptif de l’Internet Physique vient de la façon plus holistique de considérer les objets physiques. Il s’agit de transformer profondément nos façons de manutentionner, déplacer, entreposer, réaliser, approvisionner et utiliser les objets physiques. Ceci, en poursuivant des objectifs économiques, écologiques et sociaux.

Dans ce système logistique mondial hyperconnecté, on pourrait par exemple reprendre les principes de connexions entre routeurs de l’internet digital et les appliquer au réseau de transport routier. Prenons le transport d’un container entre Québec et Los Angeles (Fig.1). Actuellement, on prendrait un seul transporteur pour réaliser ce trajet de bout en bout. Celui-ci devrait se reposer 10 heures toutes les 24h [4]. La vision de l’Internet Physique serait plutôt d’interconnecter différents réseaux de livreurs pour diminuer les arrêts nécessaires au repos..  On pourrait ainsi diviser par deux le temps de transport du container entre Québec et Los Angeles (Fig.1).

Figure 1: Transport multi-segment entre le Québec et Los Angeles. Extrait du Manifeste pour l'Internet Physique.
Figure 1: Transport multi-segment entre le Québec et Los Angeles. Extrait du Manifeste pour l’Internet Physique.

Une autre illustration du « Physical Internet » est l’utilisation de centres de distribution mutualisés.

Ce type de centre pourrait être comparé au Cloud de stockage en informatique. Grâce à ce procédé, les entreprises pourraient disposer de capacité de stockage où, quand et comme elles le veulent. Cela résoudrait les problèmes de disponibilité de certains produits et de transports inutiles. C’est le pari que font déjà certaines entreprises aux Etats-Unis comme Flexe [5] et que commencent à faire certaines entreprises françaises comme CRC Services [6], ROIS de la Supply Chain 2016.

Réduire les coûts et les délais de nos Supply Chains, n’est pas le seul objectif de l’Internet Physique. Il s’agit également d’améliorer les aspect environnementaux et sociétaux globaux. Le problème du transporteur qui doit faire des milliers de kilomètres sans rentrer chez lui, avec des pressions de délais et de coûts serait aussi résolu grâce à l’Internet Physique. La mutualisation des réseaux de distribution est un exemple en faveur de la réduction des transports superflus, donc de l’impact environnemental.

L’Internet Physique ne s’arrête pas à une meilleure utilisation des réseaux actuels. Il s’agit aussi de préparer l’arrivée de l’industrie du futur et des objets connectés. Dans un horizon proche, on pourrait par exemple voir une automatisation du transfert d’objets physiques. L’Internet Digital permet aujourd’hui de faire transiter des paquets d’information par le biais de réseaux interconnectés, de serveurs et de hubs.

Serait-ce possible pour les objets physiques ?

Oui. Dans le cas de l’Internet Physique Benoît Montreuil imagine des containers interconnectés qui transiteraient de façon autonome entre différents centres de distribution mutualisés pour transporter des produits. Pour en savoir plus, consultez notre article sur les containers connectés.

Figure 2: Containers modulaires connectés, 2012. Extrait du Manifeste pour l'Internet Physique.
Figure 2: Containers modulaires connectés, 2012. Extrait du Manifeste pour l’Internet Physique.

Quel horizon pour l’Internet Physique ?

Le plan stratégique de l’Internet Physique a été élaboré par strates de 10 ans jusqu’à 2050 (voir Fig.3), l’objectif est ambitieux et le chemin à parcourir semble encore long. Néanmoins, il est déjà présent dans nos industries et certaines entreprises se lancent dans la refonte de notre façon d’interagir avec les objets physiques. Avec sa vision holistique, ses objectifs globaux et sa connexion avec l’industrie du futur, l’Internet Physique semble un élément incontournable des industries de demain. D’ailleurs, l’Union Européenne a fait de l’Internet Physique une priorité en termes de stratégie de développement de la logistique, et plusieurs initiatives et travaux de recherches sont menés pour construire un tel modèle (Projet MODULUSHCA, plateforme ALICE [5]).

Internet Physique - Figure 3: Plan stratégique de développement stratégique proposé jusqu'à l'horizon 2050 par la plateforme technologique européenne ALICE
Figure 3: Plan stratégique de développement stratégique proposé jusqu’à l’horizon 2050 par la plateforme technologique européenne ALICE.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à regarder la conférence de Benoit Montreuil à l’Ecole des Mines d’Albi Carmaux.

Auteurs : Mathieu COULAMA (AGILEA, Mines Albi), Arnaud HADANGUE (AGILEA)

Référence :

[1] Définition pratique pour l’Internet Physique élaborée conjointement par Benoît Montreuil, Eric Ballot et Russ Meller, 23/03/2011

[2] Société de l’Assurance Automobile du Quebec, 2015

[3] Benoit Montreuil

[4] Manifeste pour un Internet Physique, Benoit Montreuil, 28/03/2011

[5] Flexe.com

[6] CRC Services

[7] ETP Logistics